Nommé Sordèl en Occitanie, Sordello est le plus grand troubadour italien en langue provençale. Sa « Vida », aux péripéties controversées le fait naître à Mantoue d’un chevalier de condition modeste. On le voit à la cour de Richard de Sanbonifacio à Vérone.
Il devient l’amant de l’épouse du comte, s’enfuit avec elle, quitte l’Italie en 1228 pour se réfugier en Provence où il vit sous la protection de Raimon Béranger puis, quelques années plus tard, il est à la cour de Charles d’Anjou qui lui attribua des terres et lui proposa une nouvelle épouse.
Il parcourt l’Auvergne et la Cerdagne en Espagne. Il rejoint l’Italie en 1256 et meurt dans les Abruzzes après 1269.
On conserve quarante-trois œuvres dont douze « chansons » d’amour et des « sirventès » dont l’éloge posthume (une complainte funèbre) de Blacatz, seigneur d’Aups, troubadour, protecteur et ami de nombreux troubadours. (lire l’article consacré à ce troubadour où j’ai inclus le chant de Sordello).
ŒUVRE :
Dans une forme simple, belle et élégante, le poète nous retrace les moments de la tradition des troubadours et de l’amour courtois : le printemps, les tourments d’amour, la noblesse de la dame aimée, les plaintes du soupirant, l’acceptation des épreuves comme degrés ascensionnels du désir, l’idéalisation de l’amour.
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi me servent les yeux
Car non veson ço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que moi je veux ?
Ar quand renovel’e gença Maintenant, quand se renouvelle et s’embellit
Estius ab folh’et ab flors, L’été avec ses feuillages et ses fleurs
Pos mi fai prècs ni l’agença Puisqu’elle me prie et qu’il lui plaît
Qu’ieu chant e-m lais de dolor Que je chante et que j’arrête de souffrir
Cilh qu’es dona de plasença, Celle qui est dame de plaisir
Chantarai, sitot d’amor Je la chanterai, quoique d’amour
Mor, car l’am tan sens falhença Je meure, car je l’aime tant et sans faillir
E pauc vei lèis asor. Et je la vois peu celle que j’adore.
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi me servent les yeux
Car non veson ço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que je veux ?
Sitot amors mi tormenta Bien que l’amour me tourmente
Ni m’auci, non o planc ren, Et me tue, je ne me plains de rien
Qu’al mens mor per la plus genta, Car au moins je meurs pour la plus noble
Per qu’ieu prenc lo mal pel ben ; Aussi je prends le mal pour le bien ;
Ab que-lh plassa e-m consenta Pourvu qu’il lui plaise de m’accorder
Qu’ieu de lèis esper mercé: Et que d’elle j’espère merci
Ja per nul maltrach qu’ieu senta, Et jamais, quelque peine que je ressente
Non ausirà clam de me. Elle n’entendra de moi nulle plainte.
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi me servent les yeux
Car non veson ço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que je veux ?
Morts soi si s’amors no-m denha Je suis mort si de mon amour elle ne me juge digne,
Qu’ieu non vei ni-m posc pensar Car je ne vois ni ne puis imaginer
Ves ont m’an ni-m vir ni-m tenha Vers où je puis me tourner ou aller
S’ilha-m vol de si lonhar ; Si elle veut m’éloigner d’elle;
Qu’autra no-m plai que-m retenha Car nulle autre qui m’accueillerait ne me plaît
Ni lèis bo-m posc oblidar; Ni ne pourrait me la faire oublier ;
Ans adès com m’en prenha, Au contraire, toujours quoiqu’il m’arrive
La-m fai mièlhs amors amar. L’amour me la fait mieux aimer.
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi servent mes yeux
Car non veson ço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que je veux ?
Ai ! per que-m fai tan mal traire, Ah ! Pourquoi me fait-elle tant souffrir ?
Qu’ilh sap ben de que m’es gent Elle sait bien ce qui me réconforte
Qu’el sieu prètz dir e retraire Et que, pour dire et défendre son mérite
Soi plus sieus ont piègs en pren, Plus je souffre et plus je suis à elle,
Qu’ela-m pot far o desfaire Et qu’elle peut m’élever ou m’abaisser
Coma lo sieu, non li-m defen, Comme sa chose, et que je ne l’en empêche pas
Ni de lèis no-m vuèlh estraire, D’elle je ne veux pas m’éloigner
Si be-m fai morir vivent. Même si elle me fait mourir vivant.
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi servent mes yeux
Car non veson ço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que je veux ?
Chantant prèc ma doç’amia En chantant je prie ma douce amie
Si-lh plai non m’auci a tort, De ne pas me tuer à tort, s’il lui plaît
Que s’ilh sap que pecats sia, Car si elle sait que c’est un péché,
Pentrà s’en quand m’aurà mort, Elle s’en repentira quand elle m’aura tué
Empero morir volria Pourtant je préférerais mourir
Mais que vieure sens conort ; Plutôt que de vivre sans espoir ;
Car piègs trai que si moria Car il souffre plus que s’il mourrait
Qui pauc ve ço qu’ama fort. Celui qui voit peu ce qu’il aime le plus ?
Ailàs, e que-m fan mei uèlh Hélas ! A quoi servent mes yeux
Car non vesonço qu’ieu vuèlh. S’ils ne voient pas ce que je veux ?