Seigneur d’Aups (Var) et des châteaux voisins (Vérignon, Baudinard, Carros, Châteauneuf, Thorenc et Tourtour), il chante autant l’amour que la guerre et surtout la bonne chair, les bons vins et les plaisirs de la vie.
Il entra dans la cour du comte Raimond de Bérenger IV de Provence où, selon les événements, il endosse les armures pour, avec vigueur et courage, défendre son comte puis chanter les belles maîtresses, les bonnes tables aux plats et vins délicieux.
Il porte un regard critique sur certains troubadours de son temps.
Nous conservons une douzaine d’œuvres.
Il nous est connu par le chant élégiaque de son ami Sordello, troubadour comme lui.
Œuvre :
Pour Pèire, l’amour véritable se prouve par la constance affective et la fidéklité amoureuse. Blacatz présente l’amour comme le fruit du désir et de la jouissance, l’expression du plaisir sensuel et sexuel.
Pèire Vidal, puisqu’il m’advient de faire une « tenson ».
Pèire Vidal, pos far m’aven tençon,
No-os sia grèu, si-os demand per cabal
Per qual rasonavètz sen tan venal
En maints afars que no-os tornan a pron,
Et en trovar avètz saber e sen;
Et qui ja vièlhs en aital loc atend
Et en jovent n’es atressi passats
Mens n’a de ben que si ja non fo nats.
- Pèire Vidal, puisqu’il m’advient de faire une tenson,
Ne soyez pas fâché si je vous demande en priorité
Pour quelle raison vous avez un sens si vénal
En maintes affaires qui ne vous rapportent pas beaucoup,
Alors que dans le trobar vous avez savoir et sens ;
Et celui qui déjà vieux espère ainsi
Et a ainsi passé sa jeunesse,
A moins de bien que s’il n’était jamais né.
-Blacatz, non tenh ges vostre sen per bon
Car anc partitz plaid tan descomunal,
Qu’ieu ai bon sen e fin e natural
En tot afar per que par ben qui son ;
Et ai m’amor mesa e mon jovent
En la melhor et en la plus valent,
Non volh pèrdre los guisandons ni-ls grats,
Car qui-s recré es vilans e malvats.
- Blacatz, je ne tiens guère votre jugement pour bon,
Car jamais vous n’avez débattu d’un sujet si peu commun ;
Car moi j’ai du bon sens, fin et naturel
En toute chose, et par là on me reconnaîtra bien :
J’ai mis mon amour et ma jeunesse
En la meilleure et la plus noble,
Et je ne veux perdre ni la récompense ni le gain,
Car celui qui se dédit est vilain et mauvais.
-Pèire Vidal, ja la vostra rason
Non volh aver a midons que tan val,
Que-lh volh servir a tots jorns per engal
E d’ela-m platz que-m fassa guisardon
Et a vos lais lo long atendement
Senes jausir, qu’ieu volh lo jausiment ;
Car longs atendres sens joi ço sachatz
Es jois perduts qu’anc uns non fo cobrats.
- Pèire Vidal, jamais votre raisonnement
Ne voudrais tenir à ma dame qui a tant de valeur
Car je veux la servir tous les jours de manière égale
Et il me plaît qu’elle m’accorde sa récompense ;
Et je vous laisse la longue attente
Sans plaisir, car moi je désire le plaisir ;
Or une longue attente sans joie, sachez-le,
Est une joie perdue qui jamais ne sera recouvrée.
-Blacatz, non soi ieuges d’aital faiçon
Com vos autres a qui d’amor non cal.
Grand jornada volh far per bon ostal
E long server per recebre gent don,
Non es fins druds cel que-s camja sovent
Ni bona dona cela que-lh consent ;
Non es amors ans es engans proats
S’uoi enquerètz e demand o laissatz.
- Blacatz, je ne suis pas du tout fait de semblable façon
Que vous autres, à qui l’amour n’importe pas.
Je veux faire grande étape pour une bonne hospitalité
Et servir longtemps pour recevoir un noble présent.
Il n’est pas un amant parfait celui qui change souvent,
Et elle n’est pas une noble dame qui consent à cela ;
Ce n’est pas de l’amour, mais une tromperie avérée,
Si vous demandez aujourd’hui et renoncez demain.
Voici le texte du troubadour Sordello en hommage posthume à Blacatz :
Je veux pleurer, sur cette simple mélodie
« Je veux pleurer sur cette simple mélodie
Avec un cœur triste et dolent, et j’aurai raison de le faire
Car en lui j’ai perdu un bon seigneur et ami,
Et toutes ses valeureuses qualités sont perdues par sa mort.
La perte est si mortelle que je n’ai plus espoir
Que jamais on la répare, à moins qu’on ne fasse en sorte
De prendre son cœur et qu’en mangent les barons
Qui n’en ont pas, afin qu’ensuite ils en aient assez.
Que le premier il mange de ce cœur, car grand besoin lui est,
L’empereur de Rome, s’il veut les Milanais
Conquérir par la force ; car c’est lui qu’ils tiennent conquis
Et qui vit déshérité en dépit de ses Allemands. (l’empereur Fréderic II)
Et après lui qu’en mange le roi de France, (Saint Louis)
Puis il recouvrera la Castille qu’il perd par niaiserie :
Mais si cela déplaît à sa mère, il n’en mangera point,
Car à son honneur on voit bien qu’il ne fait rien qui lui déplaise.
Pour ce qui est du roi d’Angleterre (Jean sans Terre), me plaît, car il a peu de cœur,
Qu’il en mange à souhait ; il en deviendra vaillant et fort,
Et il conquerra la terre pour laquelle il vit dépourvu de mérite
Et que lui prend le roi de France, qui le sait indolent.
Et le roi de Castille, il convient qu’il en mange pour deux,
Car il tient deux royaumes et n’a pas de cœur pour un seul !
Mais s’il veut en manger, il faut qu’il le fasse en cachette
Car si sa mère le savait, elle lui donnerait du bâton.
Et le roi d’Aragon (Jacques Ier d’Aragon), je veux qu’il mange de ce cœur,
Car cela le fera dégorger de la honte
Qui lui vient de Marseille et de Millau ; il ne peut retrouver
Son honneur autrement quoi qu’il puisse dire ou faire
Et ensuite je veux qu’on donne de ce cœur au roi de Navarre
Qui valait mieux que ce roi, à ce que j’entends conter.
Il est dommage quand Dieu a fait accéder un homme au plus haur rang
Qu’il perde toute valeur parce qu’il manque de courage.
Le comte de Toulouse (Raymond VII), grand besoin est qu’il en mange,
S’il se souvient de ce qu’il avait et de ce qu’il a ;
Car si d’un autre cœur il ne répare pas sa perte,
Il ne semble pas qu’il la répare avec le sien.
Et le comte de Provence, il faut qu’il en mange, s’il se souvient
Qu’un homme qui vit déshérité ne vaut pas grand-chose :
Et malgré ses efforts pour se défendre et se maintenir,
Il est nécessaire qu’il mange de ce cœur pour le grand fardeau qu’il porte.
Les barons me voudront du mal pour ce que je leur dis bien,
Mais qu’ils sachent que je les estime aussi peu qu’ils m’estiment
Beau réconfort, pourvu qu’auprès de vous je puisse trouver merci
Je méprise celui qui ne me tient pas pour son ami ».
Ce poème, à part la première strophe où l’auteur déplore la perte de son ami, se transforme en terrible réquisitoire contre les diverses autorités royales ou comtales qui, à l’opposé du « cœur » de son réconfort défunt, ne sont que lâcheté, égoïsme, faiblesse et insincérité.