Lotario Conti, fil du comte de Segni, a fait des études de théologie à Paris puis de droit canon à Bologne. A vingt et un ans, il est chanoine à Saint-Pierre de Rome, à trente, il devient cardinal. Devenu, à trente-huit ans Innocent III le 8 janvier 1198, il va faire de la lutte contre les hérésies et en particulier contre le catharisme une des grandes affaires de son pontificat afin de restaurer l’Eglise dans sa vocation de « gouvernement du monde ». A peine élu, il reçoit une lettre de l’archevêque d’Auch qui l’informe « du chancre de l’hérésie qui sévit en Gascogne et dans les régions voisines ». La Catalogne est également touchée puisqu’en février 1198, Pierre II d’Aragon prend les ordonnances de Gérone ; celles-ci, reprenant les dispositions de Lérida de 1194, ordonnent aux hérétiques de quitter le royaume d’Aragon et les terres vassales avant Pâques sous peine de mort et de confiscation de leurs biens.
Le 1er avril 1198, Innocent III répond à l’archevêque d’Auch, lui rappelant les dispositions antihérétiques existantes dans le IIIème Concile de Latran de 1179 «… les ministres d’un forfait diabolique se rebellent contre la loi de la foi orthodoxe… ». Il faut donc agir avec la plus grande fermeté, il faut chasser les hérétiques hors de tous les diocèses et sévir contre ceux qui les protègent ou entretiennent des relations avec eux. Il ajoute : « …Et si c’était nécessaire fais-les contraindre par la force du glaive matériel, au moyen des princes et du peuple… ». Puis, à l’égard des ministres de l’Eglise, il lui demande de veiller au non-cumul des bénéfices ecclésiastiques, de sanctionner les prêtres prévaricateurs et de faire rentrer les moines errants dans leurs abbayes. Une lettre de la même teneur est adressée par le pape aux archevêques d’Auch, Aix, Embrun, Arles, Vienne, Lyon, Narbonne et Tarragone ainsi qu’aux fidèles et seigneurs de ces provinces, ces derniers étant tenus de confisquer les biens des hérétiques et de leurs fauteurs. Ce document annonce, par ailleurs, l’envoi en Languedoc de deux légats, Rainier et Guy, tous deux cisterciens. Retenu par d’autres charges, Rainier sera rapidement remplacé à l’automne 1203 par Pierre de Castelnau, alors archidiacre de Maguelone.
Le 25 mars 1199, Innocent III promulgue la décrétale de Viterbe qui entérine, juridiquement, le principe de confiscation des biens des hérétiques et de leurs fauteurs. Dans la même lettre par laquelle il annonce le renforcement de la légation, Innocent III attribue la responsabilité de la situation aux prélats eux-mêmes et, en particulier, à Bérenger, l’archevêque de Narbonne.
En effet, l’une des grandes préoccupations d’Innocent III est de restaurer l’église méridionale dans son autorité et dans sa dignité car le relâchement des mœurs ecclésiastiques est fort préjudiciable à la catholicité d’autant plus que parfaits et parfaites vivaient dans l’austérité, la pauvreté, la charité, l’accueil et le souci des autres en accord avec leurs professions de foi et les principes de l’évangile, à l’image des premières communautés chrétiennes. Grave était le fait que le catharisme avait contaminé jusqu’au clergé lui-même. De nombreux exemples montrent l’étroite relation entre le clergé et les cathares jusqu’à non seulement entretenir des amitiés, protéger des parfaits poursuivis, partager les repas, mais surtout se convertir et devenir parfaits comme, par exemple, entre autres le chapelain de Lux, Huc, Jean Vital devenir parfait ou Arnaud Huc, prêtre, exerçant le ministère de diacre cathare de Vielmur.
Le IVème Concile de Latran qui s’ouvrit le 11 novembre 1215 dans la basilique Saint-Sauveur marque l’apogée de son pontificat. Il faut lire le long rapport de Guillaume de Tudèle dans « La Chanson de la Croisade albigeoise ».
Innocent III meurt sept mois plus tard, le 16 juillet 1216 à Pérouse.
Archevêque de Narbonne, Bérenger, fils naturel de Raymond-Bérenger, comte de Barcelone, frère d’Alphonse II d’Aragon et oncle de Pierre II , avait été abbé de Mont-Aragon, près de Tarragone en 1170 et évêque de Lérida avant d’occuper en 1191 le siège métropolitain de Narbonne, devenu vacant après la mort de Bernard Gaucelin. Dès 1198, Innocent III, ayant été informé par ses premiers envoyés de la scandaleuse conduite de l’archevêque, écrit, en novembre 1200, à Jean de Saint-Prisque, un de ses légats, que Bérenger est « la cause et la tête de tant de maux… ». Ces maux sont l’abaissement moral du clergé diocésain et, en corollaire, le développement de l’hérésie. « Tel prêtre, tel peuple » lance le pape en demandant à son représentant de l’autorité papale de mener sur le prélat une enquête approfondie et minutieuse. Celle-ci révèle que Bérenger cumule les bénéfices et mène une vie dissolue dans le luxe et des mœurs coupables. Le 30 mai, le pape lui enjoint de se démettre ou de l’abbaye d’Aragon où il réside la plupart du temps ou de l’archevêché de Narbonne qu’il ne visite que fort rarement. Il lui fait par la même occasion de durs reproches sur sa conduite dans les affaires de l’Eglise : « Tu ne romps pas le pain que réclament les humbles comme l’exige ta charge pastorale. Alors que les hérétiques, profitant de ton absence – plaise au ciel d’ailleurs qu’ils évitent ta présence ! – professent publiquement des doctrines perverses ; le peuple les suit d’autant plus qu’on s’oppose moins à eux. Ta conduite est la cause de leur conversion à ces doctrines et abandonnent la foi catholique et les prêtres qui la prônent… ». En janvier 1204, le pape lui communique à nouveau les doléances de ses légats à son égard ; il a notamment refusé de les aider lorsqu’ils avaient besoin d’aller à Toulouse, ne leur donnant en tout et pour tout qu’une seule monture pour le long voyage. Il avait également refuse de leur prêter serment que le Souverain-Pontife exigeait de tous les prélats du Midi. En fait, les légats disposaient à son encontre d’une lourde et grave série de chefs d’accusation. Depuis son élection en 1191 c’est-à-dire depuis treize ans, Bérenger n’avait pas visité une seule fois son diocèse ; il entretenait dans un de ses châteaux un certain Nicol qui était un chef de routiers aragonais ; il ne faisait ni l’hospitalité ni l’aumône et s’absentait souvent de sa cathédrale sans motif valable ; il avait par ailleurs activement participé, moyennant finances à la scandaleuse élection qui eut lieu à l’abbaye d’Alet : il avait exigé quatre cents sols de l’évêque de Maguelonne pour le consacrer ; il permettait à des chanoines, à des abbés de monastère de cumuler des bénéfices, de ne pas porter l’habit religieux et surtout de mener une vie si dissolue que certains montraient publiquement leur famille ou ordonnaient leurs fils ou cousins avec des affectations paroissiales. Quatre mois plus tard, en avril, Innocent III prend des mesures précises ; il écrit aux légats de déposer Bérenger, après avoir effectué sur son compte une ultime enquête et de nommer son successeur au bout d’un mois si le corps électoral, passé ce délai, ne lui en a pas trouvé un. Il écrit également à Bérenger pour lui signifier qu’i l’a privé de l’abbaye de Mont d’Aragon et qu’il a ordonné de pourvoir à l’élection d’un nouvel abbé. Mais ce fut Bérenger qui porta plainte et signifia par lettre aux légats le 26 novembre suivant qu’il en appelait au pape lui-même. Ses griefs sont multiples. Il leur reproche d’abord d’avoir fait échouer l’assemblée des évêques de la province que Bérenger avait convoquée pour la consécration de l’évêque de Maguelonne ; ils avaient en effet interdit aux prélats de répondre à la convocation de Bérenger jusqu’à ce que celui-ci ait prêté serment : « Vous l’avez fait pour ma porter tort et nuire à ma réputation… ». En fait, Bérenger, oubliant ou feignant d’oublier que les légats sont nantis de pleins pouvoirs, les accuse d’abuser de leur autorité : «… Votre première légation avait seulement pour but de chasser les hérétiques. Pour outrepasser votre mandat vous avez taxé d’hérésie les fautes des clercs ; vous avez agi contre la teneur de votre mandat apostolique, au préjudice de l’église de Narbonne. Lors de la seconde légation que le seigneur pape vous a confiée, vous, Pierre de Castelnau, vous auriez dû par des lettres bienveillantes nous avertir de votre arrivée dans la province de Narbonne. Au lieu de quoi vous êtes arrivé à l’improviste… ». Au sujet de la consécration de l’évêque de Maguelonne, Bérenger reproche au même Pierre de Castelnau d’avoir agi sans plus de forme : « … Alors que vous auriez dû me montrer les lettres contenant votre mandat apostolique, et m’avertir deux ou trois fois, vous m’avez envoyé une sommation, et une sentence qui me condamnait… ». A Raoul de Fontfroide, il reproche de l’avoir frappé d’anathème sans avoir consulté son collègue l’abbé de Cîteaux, et ceci afin qu’il puisse s’absenter en aucune façon de son diocèse alors que Raoul savait bien que Bérenger voulait aller à Rome pour se justifier. Quant à l’abbé de Cîteaux lui-même, Arnaud-Amaury (abbé de Poblet puis de Grandselve avant de le devenir à Cïteaux et d’être nommé légat en mai 1204), il l’accuse d’avoir exigé le serment des clercs contre la forme canonique, et d’être responsable, en dernier ressort, de tous les torts qui lui ont été causés : « … Je vous récuse entièrement comme suspects et comme artisans de ma perte ; et j’en appelle de votre autorité et de votre pouvoir au bienheureux Seigneur pape Innocent III. Je mets sous sa garde et protection ma personne, mes biens, tous mes chanoines et mes clercs, et leurs biens tant spirituels que matériels, et l’église de Narbonne avec tout ce qui lui appartient, et toute la province qui en dépend, avec les églises et les ministères… » Cette violente réaction de Bérenger obtient l’effet escompté. Bien qu’il eût été déclaré suspens par les légats, les choses restèrent plusieurs mois en l’état, et, en juin 1205, Innocent III le convoqua pour l’entendre tout en lui laissant pour s’y rendre plusieurs mois. Bérenger fut reçu par le Saint-Père dans le courant de l’hiver. Il fit amende honorable et obtint la miséricorde pontificale un nouveau sursis. En mai 1206, Innocent III ordonna à ses légats de laisser désormais l’archevêque en paix ; s’ils ont de nouveaux griefs, ils doivent les formuler au pape lui-même, afin qu’il juge en toute équité. Mais de nouveaux motifs de rupture ne tardèrent pas à surgir. Les légats avaient fait consacrer le nouvel évêque de Toulouse, Foulques, le 5 février 1206 (ce dernier jusqu’à la fin de son mandat le 25 décembre 1231 sera un défenseur zélé de l’orthodoxie dans une ville et une région où les cathares et leurs protecteurs sont très implantés) par l’archevêque d’Arles alors que ce droit revenait légalement à celui de Narbonne. Nouvelles plaintes de Bérenger qui s’estime lésé dans ses prérogatives de métropolitain. Innocent III l’apaise en justifiant tant bien que mal l’initiative de ses légats (or, c’est sur ordre du pape qu’une telle initiative a été prise) et en lui faisant savoir que la consécration de Foulques par l’archevêque d’Arles ne diminue en rien la suprématie de l’église de Narbonne sur celle de Toulouse ; mais le conflit ne tourna pas à l’avantage de Bérenger : le pape, averti que sa province était « infectée de loups qui ravagent le bercail du Seigneur », ordonne le 29 mai 1207 de le déposer définitivement et de pourvoir à sa succession. Quelques jours auparavant, Bérenger avait donné la preuve de son attachement à la cause de la lutte antihérétique : il avait don de l’église Saint-Martin de Limoux au monastère de Prouille que Frère Dominique avait fondé ? Est-ce ce geste qui lui valut un nouveau sursis. Deux ans plus tard, Bérenger était toujours en place. En 1209, il prêta serment à Arnaud-Amaury et aux chefs de l’armée croisée, il promulgua des statuts contre les hérétiques ; l’année suivante, il était dans les rangs des envahisseurs au siège de Minerve fin juin 1210. Il avait fait du zèle en dénonçant au pape les agissements de vaudois récemment réconciliés à l’Eglise. Mais une nouvelle enquête est ordonnée par Innocent III sans doute alerté par de nouvelles plaintes qui aboutit à sa déposition définitive par les légats Arnaud-Amaury et Navarre, évêque du Couserans. Mais Bérenger s’accroche encore. Le 25 juillet 1209, il va au- devant de l’armée royale pour présenter avec le vicomte Aimery la soumission de Narbonne En février 1211 il est présent au Concile de Montpellier en qualité d’archevêque de Narbonne lors de l’excommunication de Raimond VI. Ce n’est qu’en 1213 que Bérenger sera remplacé effectivement par Arnaud-Amaury. Innocent III pourra enfin compter sur ses prélats, véritable garde cistercienne : Foulques à Toulouse, Guy des Vaux-de-Cernay à Carcassonne et Arnaud-Amaury à Narbonne.
MANUSCRIT : 609, Bibliothèque de Toulouse.
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