Prologue :
Jean Duvernoy écrit : « La chute de Montségur était un symbole. Mais elle consacrait la disparition de la forme « monastique » la plus achevée, avec sa hiérarchie complète, sa « supérieure » des parfaites, ses maisons, ses services mensuels ; elle n’affectait que peu le ministère actif des prédicateurs encore nombreux disséminés dans la clandestinité » dans « Histoire du Catharisme. Tome 2 Privat 2004.
Nous allons vous présenter leur sort dans l’Espagne du Nord.
En 1198, après son élection, Innocent III fait de la lutte contre l’hérésie une des grandes affaires de son pontificat. En février 1198, Pierre II d’Aragon applique les ordonnances du Concile de Gérone que confirme le Concile de Lérida (1194) obligeant les hérétiques à quitter ses terres sous peine de mort et confiscation des biens.
Dans le 1er chapitre de « La Chanson de la Croisade Albigeoise » intitulé les origines de la Croisade, Guillaume de Tudèle évoque Arnaud Amauri, abbé du Monastère de Poblet puis de l’abbaye de Cîteaux que le pape Innocent III missionne pour extirper l’hérésie en 1204 en lui disant : « Des murs de Montpellier aux portes de Bordeaux tout rebelle doit être abattu ». Plus loin, l’auteur écrit : « Avec Arnaud Amauri galopait une nuée d’évêques : celui de Lérida, de Tarragone, de Barcelone aussi, de Montpellier, ceux venus de plus loin que les ports espagnols, ceux de Burgos, de Pampelune et Tarazone ». Pour comprendre la présence d’une telle compagnie de prélats, il faut dire que les Actes du Concile de Saint-Félix du Lauragais (1167) délimitait l’évêché cathare du Toulousain jusqu’à Lérida.
Le catharisme s’est donc développé dans les régions occidentales du Comté de Barcelone (Andorre, Cerdagne, Castelbon, Urgell, Cardone) chez les familles seigneuriales, voisines et alliées du Comté de Foix. Ainsi en 1202, le futur comte de Foix, Roger-Bernard II, neveu d’Esclarmonde, parfaite, et fils de la comtesse Philippa qui se retirera à Dun en 1206 à la tête d’une maison de parfaites, épouse Ermessinde, fille du vicomte de Castebon. Celle-ci lui apporte, en dot, l’Andorre, la vallée de Sant Juan et quelques possessions tenues par l’évêque d’Urgell.
Un croyant de Montferrand (Aude) dont la mère et la sœur furent « consolés » chez eux déclarait avoir séjourné en 1215 à Barcelone, Lérida, Saragosse et Monzon. En 1214, un an après la bataille de Muret, le seigneur Raymond de Josa (Cerdagne) abjure, temporairement le catharisme devant le légat, Pierre de Bénévent, venu faire reconnaître le jeune Jacques 1er par la noblesse d’Aragon.
Luc, évêque de Tuy, aurait écrit un ouvrage polémique antihérétique où il est question de présence de cathares dans la province de Léon entre 1209 et 1236. Ces cathares auraient résidé au château de Montclus vers 1230.
En 1221, à Mirepoix, Guilhabert de Castres, évêque cathare de Toulouse, et Raymond Agulher, diacre du Sabarthès, rencontrent le vicomte Arnaud de Castelbon (Cerdagne) et Roger de Commenges, comte de Pallars (Cerdagne) et vicomte du Couserans pour organiser l’accueil des réfugiés cathares et définir la route qu’ils pourront suivre en toute sécurité pour atteindre les hautes terres catalanes. Il existe un itinéraire qui, partant du « castrum » de Montségur, traverse les vallées de Campardès et de la Llosa pour atteindre le sanctuaire de Quéralt à Berga et, de là, rayonner sur les alentours. C’est le chemin migratoire des cathares appelé « el Cami dels Bons Homes » ou le chemin des Bons Hommes devenu aujourd’hui un sentier de grande randonnée (GR – 107) balisé par les marques rouges et blanches. Sur ce sentier, on traverse villages et monastères, églises et gîtes pour les pourchassés et en fuite : la sanctuaire du miracle, Oden, Sant Llorenç de Morunys, Tuixén, Quéralt, Gosol, Baga, Urgell, Bellver, Balaguer et Lérida.
En 1224, à Castelbon, la vicomtesse Ermessinde et Tiborg, épouse de Raymond de Josa, écoutent les prêches des parfaits cathares en compagnie de Dyas de Deyme, dame de la région toulousaine.
Bien plus tard Dyas de Deyme déposait devant le tribunal de l’inquisition qu’elle se trouvait à Castelbon en 1224 et avait côtoyé, dans la maison d’Arnaud de Paris, des parfaits, écouté leurs prêches en présence de la vicomtesse Ermessinde, de Tiborg, la femme de Raimon de Josa, de Bérengère de Corneille et de beaucoup d’autres. En avril 1224, dans la maison du chirurgien Arnaud Roquié de Belpech, réfugié, le chevalier Bernard Batalha de Mirepoix fut « consolé » par le parfait Guillaume Rousaud et ses compagnons.
En 1226, au Concile de Pieusse (Aude), un diacre, Pierre de Corona, est consolé et nommé en Catalogne pour témoigner de sa foi. Par Quié, commune du Sabartès où il réside chez le comte Roger de Pallars puis il visite Cervera, Berga, Carol de Cerdagne ; à Josa il est reçu par le seigneur du lieu, Raimond de Josa et s’arrête à Lérida.
En mars 1237, l’évêque d’Urgell préside le Concile de Lérida afin de décider de détruire définitivement « ce nid d’hérétiques » : 45 personnes furent condamnées et emmenées à Tarragone pour être livrées au bras séculier ; 18 défunts furent exhumés pour que leurs ossements soient brûlés ; ainsi, en 1258, les os de Raymond de Josa et d’Arnaud de Castelbon furent réduits en cendres ; en 1969 ceux de sa fille Ermessinde connurent le même destin ; entre temps, des maisons furent arasées.
En 1234, Isarn de Castillon, coseigneur de Mirepoix, meurt à Castelbon où il sera « consolé » en présence de Raymond Sans de rabat, l’autre coseigneur de Mirepoix, et de Pierre de Gavarret, bayle de Tarascon. La même année une maison est créée à Castelbon par Arnaud de Bretos et reçoit les visites des chevaliers Raimon et Gaucerand de Castelarnaud et Bérenger de Py.
Une lettre du pape Grégoire IX datée de 1236 atteste que Ferdinand III, roi de Castille et de Léon, a édicté une série de peines (emprisonnement, exil forcé, confiscation de biens et tortures) dans la villa de Palencia (Léon) à l’encontre des hérétiques (cathares et vaudois).
Une seconde lettre papale de 1237 condamne les hérétiques qui vivent à Burgos depuis 1232.
Outre les cathares repentis qui furent, en pénitence, contraints d’effectuer le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, certains fayfits, croyants et parfaits, vêtus en pèlerins, utilisèrent « les chemins des français » pour, de la Provence et le Languedoc, fuir les armées royales et l’Inquisition, et gagner l’Espagne où ils continuèrent leurs prêches et leurs pratiques cultuelles pour gagner des adeptes en évitant les régions inamicales et utilisant une clandestinité certaine.
Ainsi, après son évasion de la prison carcassonnaise avec Philippe d’Alayrac, Guillaume Bélibaste emprunte « le chemin des bons hommes » rencontre une croyante de Junac, Raymonde Piquier accompagnée de sa fille Guillemete. Ils voyagent ensemble et Raymonde devient sa compagne dont il aura un enfant. Bélibaste se trouve à Berga où il rejoint Pierre Maury. Il rencontre des petites communautés de croyants au Sabartès qui ont fui, eux aussi, l’inquisition. Il se rend à Lérida puis à Flix au début de 1314 où il rencontre Raymond de Castelnau, un autre parfait. Jusqu’à la fin de 1317, Bélibaste fait plusieurs séjours à Tortosa et à Morella où sont refugiés les Maury de Montaillou : Pierre, Guillemette, ses fils, Jean et Arnaud. En 1321, Bélibaste et les fils Maury sont arrêtés à Tirvia, emprisonnés à Carcassonne puis livrés à l’archevêque de Narbonne. Guillaume Bélibaste mourra fin 1321 sur le bûcher à Villerouge-Termenès (Aude).
Nous connaissons les activités et les modes de vie des exilés occitans par les dépositions de deux parfaits devant le tribunal de l’inquisition de Toulouse présidé par l’inquisiteur dominicain, Vincent Ferrier. Le premier procès-verbal est celui d’Arnaud de Bretos de la ville de Berga dont la famille était très croyante : sa mère fut consolée vers 1214. Il retrace les lieux et les personnes rencontrés ; il avait vu le diacre Guillaume Clergue tenir la maison à Castelbon puis rencontré au château de Josa le diacre Pierre de Corona et son compagnon Guillaume du Puits, la famille du comte, Raimond, sa femme Tiborg et son frère Guillaume en 1232 ; Son frère Pierre de Bretos fut consolé par Guillaume du Puits et Vital Terré. En 1241, il est de passage à Montségur auprès de Bernard Marty.
Puis il rejoint Tarragone avec son compagnon Guillaume Cathala. Il est hébergé dans une famille originaire du Narbonnais et rencontre le parfait Pierre d’Urgell. Il passe dans la montagne de Ciurana en 1242 où il console la maîtresse de maison. Dans le val de Porreira, il visite la famille de Raimond Pastre.
Le second procès-verbal concerne un habitant d’Albi qui, en 1223, parti de Villemur avec le Fils majeur de l’évêque cathare, Bernard Lamothe. Au concile de Pieusse (1226) il est confié à Pierre de Corona qui devient diacre de Catalogne. Ils gagnent Josa, puis cervera, Berga, et les montagnes de Ciurana où ils passent une année chez le parfait Arnaud de Sa Sentina. De là ils font de fréquentes visites à Lérida. Ces faits se situent avant le traité de 1229.
Les efforts de l’Inquisition ne permettant plus aux cathares catalans et aux exilés occitans de vivre du minimum de clandestinité et de tolérance nécessaires, la plupart quittent les terres pour rejoindre l’Italie
Bernard Gui le 1er mai 1316 envoie une lettre au clergé espagnol dont voici les principaux passages :
BERNARD GUI ECRIT AU CLERGE ESPAGNOL :
Lettre lancée en Espagne contre les sectateurs de l’hérétique Dolcino qui s’intitulent et se disent faussement Apôtres du Christ.
A nos vénérables Pères dans le Christ et révérends seigneurs prélats ecclésiastiques et à religieuses personnes les frères de l’ordre des Prêcheurs, Mineurs et autres ordres d’Espagne, aux zélateurs de la foi de Notre Seigneur Jésus-Christ de frère Bernard Gui, de l’ordre des Prêcheurs, inquisiteur des hérésies, délégué par l’autorité du siège apostoliques pour le royaume de France et particulièrement pour la région de Toulouse.
Si l’on veut extirper la zizanie qui, par le fait de notre ennemi le démon, a crû si abondamment en ces dernières années, il faut déployer une vigilance d’autant plus attentive qu’on l’a laissée se développer plus pernicieusement au grand détriment de la semence catholique.
Depuis peu, en effet, nous et les autres inquisiteurs l’avons, maintes fois, constaté.
Un certain Gérard Segarelli, originaire de Parme, fit de nombreux adeptes et infecta ses sectateurs du venin mortel de ses doctrines perverses. Il fut arrêté et condamné devant un tribunal ecclésiastique par la sentence définitive des inquisiteurs de l’hérésie et, en qualité d’hérétique notoire, abandonné au bras séculier, châtié comme il le méritait et livré au bûcher.
Il a laissé un certain Dolcino, originaire de Novare, qui a groupé de nombreux disciples et adeptes qu’il appelle ses Apôtres. Le nombre de ses adeptes a crû considérablement. Ils sont restés rebelles à la lumière se cachant tantôt dans les montagnes, tantôt dans les grottes et les cavernes ou dans les châteaux maudits comme le font chez vous les cathares. Mais, au début de l’an 1308, il fut pris avec plusieurs autres de ses adorateurs. Ils furent, par sentence définitive et jugement de l’Eglise, déclarés hérétiques et, comme tels, abandonnés au juge séculier, pour recevoir le châtiment qu’ils méritaient : ils furent livrés aux flammes vengeresses, destinés qu’ils étaient au feu éternel.
Leur doctrine perverse n’en fut pas pour autant anéantie. Les Pseudo-Apôtres disciples des susdits Gérard et Dolcino font profession de pauvreté évangélique, simulent la pénitence, s’en vont criant dans les carrefours et les places publiques de faire pénitence, chantent le « Salve Régina » et autres morceaux du même genre.
Nous conservons la liste d’un certain nombre d’entre eux ; ils nous ont été dénoncés en jugement par un témoin qui les a vus, entendus, connus et, ici et là, entretenu des rapports avec eux.
Veillez, pasteurs, sur la garde de votre troupeau ; arrêtez de tels individus partout où vous les découvrirez ; interrogez-les avec soin et circonspection ; exhortez-les et invitez-les à la conversion. S’ils refusent de se convertir, de revenir à l’unité ecclésiastique et d’abjurer entièrement en jugement toute hérésie qu’ils soient relégués en tel ou tel lieu pour y faire pénitence afin qu’ils ne se comportent en loups déguisés en agneaux. Qu’on les recherche et à révéler leurs complices. S’ils persistent dans l’hérésie, qu’on les abandonne au bras séculier qui leur appliquera les peines prévues et conformes aux sanctions canoniques.
Donné à Toulouse le 1er Mai 1316.
LETTRE DE RODRIGUEZ, ARCHEVEQUE DE COMPOSTELLE :
Rodriguez, archevêque de Compostelle et chancelier du royaume de Léon, à religieuse personne frère Bernard Gui, de l’ordre des frères Prêcheurs, inquisiteur de l’hérésie.
Sachez que nous avons pris connaissance de votre lettre et procédé à quelques arrestations dans la ville même de Compostelle et en diverses autres régions de personnes qui nus paraissaient entachées de cette perversité et nous les tenons chargés de chaînes.
Nous vous demandons de nous indiquer les procédures inquisitoriales, nous faire parvenir les chefs d’accusation décisifs et les modalités pour leur faire avouer les complices.
Pour que soient sauvegardés les intérêts de Dieu et que soit exalté le fondement de la foi, nous ferons contre eux, si leur culpabilité est démontrée, tout ce que, selon Dieu, ordonne le droit
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Donné à Compostelle le 12 Mars 1316.